Tellement belle

Publié le par Noémie Brune

Tu devrais la regarder plus souvent, tu sais. Ses cheveux, ils sont ternes et cassés, comme ses jambes qui n’arrivent plus à marcher. Ses joues sont creuses et décolorées, comme ses mains qui tremblent dans le froid. Ses organes sont faibles et fragiles, comme ses côtes qu’on voit à travers la parka. Ses larmes salées la brûlent, comme sa gorge qui rencontre de la vodka. Son cœur est flétri, verrouillé, exposé, qu’elle cherche à cacher en creusant dans la neige. Ses pieds sont froids, rougis par la marche qu’elle fait pour éviter de s’écrouler. Son front est pelé, comme ses souvenirs qu’elle cherche à oublier. Ses cernes sont noires et bouffantes, parce qu’elle ne dort plus. Parce qu’elle a peur de mourir, que la nuit l’emporte, qu’elle s’endorme pour toujours. On la croise, on la bouscule, on lui donne une pièce, des fois un sandwich quand les gens en ont trop pris, on la regarde, on passe devant, on se dit qu’elle est laide et usée par la vie. Mais tu devrais la regarder, tu sais. Regarde-la, j’te jure. C’est vrai, elle ne sourit pas, elle ne sourit plus, mais ses yeux, eux, ne sont pas morts. Ils sont ouverts, alarmés, criants. Ils sont vivants, putain. Elle les pose partout, sur chaque personne, chaque mur, chaque feuille, chaque enfant, chaque fenêtre. Ils tourbillonnent, ils vibrent, ils hurlent, ils illuminent. Tu sais, elle s’arrête sur la route, des fois, et elle s’assoit. Tu le savais pas, ça. Tu t’en doutais même pas. Elle regarde le soleil se lever, ou alors se coucher. Elle laisse ses pupilles se gorger de lumière et de couleurs, une dernière fois. Elle laisse la vie la frapper et l’enlacer, une dernière fois. Elle laisse ses larmes se sécher, une dernière fois. Elle laisse le courage l'envahir, une dernière fois. Alors elle se relève, elle revient dans son monde sombre et salissant, pendant que la neige se remet à tomber. C’est plus qu’une poupée de chiffon qui un jour va tomber, plus personne pour la relever. Mais pendant qu’elle se rassoit, dans cette rue crasseuse qui est devenu son lit, elle brille comme personne n’a jamais brillé. Elle se bat comme personne ne s'est jamais battu. Et j’te jure, putain, j’te jure. Elle est tellement belle que ça m’en crève le cœur.

Tellement belle
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